L’obsession du mouvement
«Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués». La phrase est d’Yves Saint Laurent, qui l’avait prononcée un jour de janvier 2002 lors de ses adieux à la haute couture. Par «fantômes esthétiques», le créateur définissait ces apparitions, ces figures, ces flashs parfois obscurs qui l’avaient accompagné pendant tant d’années. Aujourd’hui, ils sont rares les créateurs à prendre la main de leurs propres fantômes. Haider Ackermann est de ceux-là.
Né à Santa Fé de Bogota, en Colombie, il est adopté par un couple français à l’âge de 9 mois. Il est adolescent quand sa famille s’installe au Pays-Bas, puis déménage à Anvers où il s’inscrit à l’Académie royale des Beaux-Arts. Le froid et la grisaille font leur incursion dans son univers, embellissent les «chocs esthétiques qu’a été la vision des femmes voilées dans la médina, ou des dames en boubou». Des instants forts, émouvants parce que disparus, qu’il essaie de retrouver. Haider Ackermann a la mélancolie des continents engloutis, de la modernité qui vient chambouler les lieux qu’il a connus.
En mars 2002, il fonde sa propre Maison. «Je m’inspire très peu de photographies ou de dessins, mais plutôt de rencontres, de moments précis qui me confortent, m’intriguent, me bousculent.» Il offre une tonalité streetwear à des parures taillées pour les nomades… comme lui. L’allure est celle d’un personnage orientaliste. Sans oublier la féminité, les créations de Haider Ackermann jouent la carte de l’androgynie. Avec ses vestes kimonos revisitées, ses drapés impérieux… Fermement ceinturée, parée de tissus lourds soumis à la magie des structures, la femme Ackermann irradie.
Récemment, il a été frappé par Only Lovers Left Alive, l’exceptionnel film de Jim Jarmusch où son amie Tilda campe un vampire vivant entre Tanger et Detroit. «Toutes mes tocades se réunissent dans ce film: le voyage permanent, l’amour de la nuit, la quête de l’amour, l’angoisse de la mort, la liberté.»