L’épure sombre
Né à Bruxelles de parents italiens, il fait ses armes chez Fendi comme styliste fourrure. Assez vite le désir de lancer sa propre griffe le tenaille. Il vit à Paris depuis cinq ans perché dans un nid d’aigle où Il se plaît à casser les codes. « Je joue sur les limites et j’ai l’obsession de la ligne. Moins, ce ne serait pas assez, plus ce serait trop. » Il dompte ses effets par un travail exigeant sur les matières et une tension inspirée de l’uniforme. Des coupes affutées jusqu’aux découpes acérées, à même la peau, souvent en cuir. L’équilibre entre force des lignes et vulnérabilité de la nudité le passionne. Comment ne pas suivre un tel sillage !
Dans ses récentes collections, il révèle les armatures métalliques dorées soutenant toutes ses pièces comme en apesanteur. Des détails ciselés comme des armures qui deviennent autant de bijoux. chez Anthony le corps est très assumé, la sexualité aussi. Le désir est constamment attisé par ces oeillets, rivets, boutons, pressions… l’outillage du sex-appeal. Et sa couleur noire, dominante, qu’il définit comme romantique et très complexe se joue en drapés retroussés, fendus, plissés échancrés… Le noir est décidément grisant !
L’obsession du mouvement
«Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués». La phrase est d’Yves Saint Laurent, qui l’avait prononcée un jour de janvier 2002 lors de ses adieux à la haute couture. Par «fantômes esthétiques», le créateur définissait ces apparitions, ces figures, ces flashs parfois obscurs qui l’avaient accompagné pendant tant d’années. Aujourd’hui, ils sont rares les créateurs à prendre la main de leurs propres fantômes. Haider Ackermann est de ceux-là.
Né à Santa Fé de Bogota, en Colombie, il est adopté par un couple français à l’âge de 9 mois. Il est adolescent quand sa famille s’installe au Pays-Bas, puis déménage à Anvers où il s’inscrit à l’Académie royale des Beaux-Arts. Le froid et la grisaille font leur incursion dans son univers, embellissent les «chocs esthétiques qu’a été la vision des femmes voilées dans la médina, ou des dames en boubou». Des instants forts, émouvants parce que disparus, qu’il essaie de retrouver. Haider Ackermann a la mélancolie des continents engloutis, de la modernité qui vient chambouler les lieux qu’il a connus.
En mars 2002, il fonde sa propre Maison. «Je m’inspire très peu de photographies ou de dessins, mais plutôt de rencontres, de moments précis qui me confortent, m’intriguent, me bousculent.» Il offre une tonalité streetwear à des parures taillées pour les nomades… comme lui. L’allure est celle d’un personnage orientaliste. Sans oublier la féminité, les créations de Haider Ackermann jouent la carte de l’androgynie. Avec ses vestes kimonos revisitées, ses drapés impérieux… Fermement ceinturée, parée de tissus lourds soumis à la magie des structures, la femme Ackermann irradie.
Récemment, il a été frappé par Only Lovers Left Alive, l’exceptionnel film de Jim Jarmusch où son amie Tilda campe un vampire vivant entre Tanger et Detroit. «Toutes mes tocades se réunissent dans ce film: le voyage permanent, l’amour de la nuit, la quête de l’amour, l’angoisse de la mort, la liberté.»
La discipline effrénée
Né à San Francisco, d’origine chinoise, il étudie à la Parsons School of Design, à New York, et dans le même temps commence à se faire une place en travaillant pour Marc Jacobs, Derek Lam et Vogue. Alexander Wang s’ennuie sur les bancs de l’école, son envie de créer prend le dessus et il quitte les cours au milieu de sa deuxième année. Il lance alors sa propre marque en 2005, avec une première collection unisexe, Ses inspirations ? L’allure décontractée et sportive des skaters directement injectée dans une garde-robe féminine. Le jeune prodige devient directeur artistique de la marque Balanciaga en 2012, et continue à gérer sa marque, à présenter ses collections de vêtements, accessoires, sacs et chaussures autour du monde, mais aussi à organiser des événements toujours plus originaux. Il réussit à s’imposer très vite comme LE créateur à suivre. Ses collections combinent matières techniques, couleurs chimiques et fonctionnalité.
Ses défilés dans une atmosphère de clair obscur énigmatique commencent sur fond de basses ultra puissantes des beats hip hop et font trembler les miroirs. Un noir intense, mais lumineux à la fois, à la manière des toiles de Pierre Soulages, avec un travail expérimental sur les matières, luisantes comme si elles étaient mouillées, avec du tweed laqué, du daim enduit, ou au contraire mattes et duveteuses, avec de la crêpe de soie ou de la fourrure, assemblées comme un patchwork, pour créer un effet de profondeur et de relief.
Alexander Wang réussit à rendre ses filles à l’allure invincible et déterminées, marchant d’un pas assuré quasi militaire, aussi intimidantes que sexy. Une assurance qui pourrait sembler masculine en apparence, mais qui cache une féminité ultra sensuelle, avec sous les manteaux, des jupes fendues en cuir, des bas résille, des gants longs et des bottes en cuir verni quasi fétichistes. L’apparente dureté des looks s’adoucit au fur et à mesure des passages, dévoilant un peu plus de peau à chaque fois, elle-même enveloppée dans des matières si fines et délicates comme la soie, le tulle ou le cuir.
J’aime les coups de ciseaux d’Alexander Wang … et j’aime ces femmes qui aiment les crocodiles, ainsi protégées et déterminées, elles foulent de leur pied menu le sol de cette curieuse planète, jambes galbées, toujours dénudées.